Deux millions de Français sont concernés par cette extension du périmètre de distribution de l’oligo-élément, destiné à protéger la thyroïde en cas de fuite radioactive.
Deux millions de personnes vivant dans un rayon de 20 kilomètres autour des 19 centrales nucléaires françaises vont recevoir sous peu une lettre les invitant à retirer des
comprimés d’iode, qu’ils seraient amenés à prendre en cas d’accident nucléaire. La distribution gigantesque qui s’annonce (600.000 foyers, 1.800 écoles, un millier de mairies) est une conséquence de l’extension du périmètre des plans particuliers d’intervention, les «PPI», qui organisent la réponse d’extrême urgence après une fuite radioactive. Cette extension de 10 à 20 km du périmètre des PPI avait été décidée en 2016, à la suite d’une réflexion engagée après
l’accident de Fukushima, au Japon, en 2011. Au-delà des 20 km,
les plans Orsec s’appliqueront. De l’iode stable, stocké dans chaque département, pourra être distribué aux populations plus éloignées.
Fabriqué par la pharmacie centrale des armées, l’iode stable sera délivré aux riverains munis d’un bon de retrait dans les officines participant à la campagne. Le rôle de cet oligo-élément est de protéger la thyroïde contre l’assimilation d’iode 131, un isotope radioactif qui peut être à l’origine de cancers. «Telle une éponge gorgée d’eau, la thyroïde va se saturer en iode stable fermant les portes d’entrée de l’organe à l’iode radioactif», indique Alain Rannou, directeur adjoint de la santé à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Pour être efficace, le comprimé doit être ingéré dans les deux heures précédant le passage des particules et gaz radioactifs. «On estime que l’iode stable, ou iodure de potassium, perd de son efficacité au-delà de dix heures environ après l’exposition à l’iode 131», ajoute l’expert. En cas de risque d’inhalation ou d’ingestion, les enfants et les femmes enceintes, plus vulnérables, seront à protéger en priorité. Les comprimés de 65 g d’iodure de potassium doivent être conservés au sec dans un endroit accessible et facilement mémorisable.
«En cas d’accident, l’iode doit être pris lorsque le préfet en donne la consigne et uniquement à ce moment-là», précise un porte-parole de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). La remarque est destinée à prévenir des ingestions précipitées ou inappropriées, dans un moment de panique. Selon Alain Rannou, «la décision des pouvoirs publics s’appuiera le jour J sur les modélisations de l’IRSN, tenant compte des conditions météorologiques et de la direction du vent».
Très volatil, l’iode 131 est l’un des premiers éléments radioactifs émis en cas d’accident nucléaire. C’est aussi l’un des plus abondants. L’utilité d’une distribution massive d’iodure de potassium a été montrée en Pologne, où 10,5 millions d’enfants et 7 millions d’adultes ont reçu l’antidote après l’accident de
Tchernobyl en 1986, selon l’ASN. Aucune augmentation de l’incidence des cancers de la thyroïde n’a été mise en évidence dans ce pays, malgré une exposition à de fortes doses de radioactivité. «Cela dit, l’iode stable n’est efficace que sur un organe pour contrer les effets d’un radioélément, souligne le porte-parole de l’ASN. Ce n’est qu’une composante de la protection en cas de rejets radioactifs.»
Lors d’un accident nucléaire, d’autres éléments radioactifs sont relâchés dans l’atmosphère, comme le césium 137 qui se dépose sur le sol et peut contaminer durablement les végétaux et la chaîne alimentaire. C’est la raison pour laquelle la lettre envoyée aux riverains des centrales françaises rappelle les autres gestes de prévention, le plus important étant de se mettre à l’abri et de se confiner. Les PPI prévoient aussi l’exclusion de consommation de certains aliments, voire une évacuation de la population. Si l’iode 131 peut rester présent dans l’environnement pendant deux mois environ, la persistance du césium dépasse 200 ans.
En Gironde, le docteur Céline Berthié, médecin généraliste dans le périmètre de la centrale du Blayais, regrette ainsi de ne pas avoir été mieux associée en amont au dispositif. Prise au dépourvu, elle a été mise en difficulté pour répondre à un patient, inquiet, et informé avant elle de cette extension du périmètre de distribution d’iode.
Article de Delphine Chavet